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Auteur: Yuriy Romanenko

Traduction: Victoria Nikolenko

Texte original disponible sur https://hvylya.net, la traduction a été publiée pour la première fois le 9 avril 2022 sur Medium

Tous les Ukrainiens veulent que l’Europe se précipite au secours de l’Ukraine en un seul élan et qu’elle commence à punir sévèrement la Russie, en coopération avec les États-Unis. Beaucoup de gens ne comprennent pas une chose dont il faut bien se rendre compte pour qu’on puisse gagner la victoire. La conscience humaine a de l’inertie, et dans la vie de tous les jours, elle évite les choses abstraites.

J’ai commencé à lancer les cris d’alerte sur l’inévitable guerre entre la Russie et l’Ukraine depuis 2006, quand j’ai écrit l’article « Que faire avec la Russie. La conception des deux axes ». J’y disais qu’indépendamment de tous les discours sur la fraternité slave et autre blablabla, ce combat sera existentiel après la révolution Orange de 2004. Ensuite, pendant de nombreuses années, je développais ces thèses, mais les élites et la société n’y étaient pas réceptives parce que sortir du cocon d’une vie confortable, dépenser de l’argent et du temps pour se préparer à la guerre semble être une idée coûteuse et absolument insensée. En 2007, le rédacteur en chef de « Glavred » Viktor Shlinchak rigolait quand je lui disais qu’on avait aménagé un bunker sous notre maison. L’épouse d’Alexandre Tretiakov rigolait aussi, en écoutant mes arguments pourquoi il y aurait une guerre et comment il fallait s’y préparer. Cela semblait impossible.

Et voilà que la guerre arrive, et on voit Ivanka, 22 ans, qui se cache dans un sous-sol à Boutcha, 203B rue Yablonska, avec sa sœur de 10 ans qui meurt d’hémorragie et avec les autres civils paniqués, et qui chuchote au téléphone à ma femme : « Tania, ils sont en train de forcer notre porte, ils vont nous tuer tous ! » Et tu te rends compte que malgré tout ton réseau, tu ne peux rien faire. Ni OP (Office du Président, anciennement appelée Administration présidentielle, NDTR), ni l’État-major général, ni le Cabinet des Ministres ne peuvent pas aider, parce qu’ici et maintenant la vie de tes amis ne tient qu’à un fil à cause des barbares fous qui viennent de fusiller leur père sans aucune raison.

Ce choc de la guerre a amené aux Ukrainiens la prise de conscience de la menace que la Russie fait la guerre pour la destruction de l’Ukraine. Non pas parce que nous avons fait quelque chose pas comme il aurait fallu, mais parce que dans leur représentation du monde, l’Ukraine et les Ukrainiens n’ont pas leur place. C’est pourquoi ils sont prêts à justifier le génocide par tout fake, tout mensonge, tout argument qui ne tient pas debout, comme le fait Timofey Sergueitsev dans l’article « Que doit faire la Russie avec l’Ukraine » publié sur le principal portail médiatique publique de la Russie « RIA Novosti ».
Dans cet article, que même Hitler et Himmler auraient applaudi, Sergueitsev explique de façon calme et très terre-à-terre pourquoi la Russie doit exterminer des millions des Ukrainiens, pourquoi le nom « Ukraine » doit disparaître, pourquoi le reste des Ukrainiens doivent être placés dans les camps de concentration pour « la grande idée russe ». Il est à noter entre autres, que Sergueitsev doit figurer dans les listes de ceux qui portent la responsabilité directe de la transformation de la Russie en un État nazi avec Poutine à la tête.

Donc. Aux Ukrainiens, il a fallu des années et le choc d’une collision frontale avec l’invasion russe pour être conscient des réalités et du défi de la guerre. L’Europe et les États-Unis, qui depuis plus de 70 ans n’ont pas connu la grande guerre, ne peuvent toujours pas admettre cette réalité. Pour un Allemand, il est difficile de comprendre pourquoi il doit payer son loyer deux fois plus cher à cause d’une guerre lointaine. L’Allemand n’a pas encore compris que la guerre où les enfants et les femmes sont brûlés juste comme ça, cette guerre le concerne directement. Parce qu’en justifiant les tueries de masse pour leur bien-être économique, les Allemands, les Français, les Italiens et les autres nations européennes retournent au bon vieux temps d’Adolphe Hitler, quand la violence au nom des grands objectifs était justifiée, et même souhaitée.
Les Européens ont soigneusement barré de leur mémoire les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, parce que le traumatisme était si insupportable qu’il est devenu folklorique. C’est pourquoi, quand en ce moment même, au centre de l’Europe, il se passe la même chose qu’en Pologne, en Ukraine, en France, en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, les Européens ont un blocage. Il leur est difficile de croire que c’est vraiment possible, quand on a l’électricité, l’eau courante, le chauffage, de la prévision à long terme, les allocations sociales et tout est planifié pour les 30 ans à venir. Les Européens n’imaginent pas comment on peut, du jour au lendemain, venir en char dans une ville paisible, et fusiller les premières 20 personnes venues, ensuite capturer cinq femmes, les violer, ensuite les brûler, puis entrer dans un immeuble d’habitation, forcer les portes des appartements avec une masse, emporter tous les biens de valeur, ainsi que les poêles, les culottes et les vibrateurs, chier dans le hall — on ne sait pas vraiment pourquoi, alors que tous les appartements sont déjà ouverts et il suffit juste de soulever l’abattant WC… C’est comme cela que les Européens n’imaginaient pas non plus comment on pouvait brûler dans des crématoriums des millions de gens. Malheureusement, l’histoire se répète.

C’est pourquoi, aussi douloureux que ce soit pour nous-mêmes, mais nous devons, nous sommes obligés de montrer aux Européens les photos des enfants violés, des femmes brûlées, des civils tués avec des coups de fusils dans la nuque, pour que, petit à petit, toutes ces violences et obscurantisme générés par le régime poutinien pénètrent dans la conscience des gens de l’Occident et pour qu’ils comprennent que le Mal frappe à leurs portes. Et c’est sûr qu’il les envahira s’ils continuent à l’ignorer. C’est sûr et certain. Tout comme il a envahi l’Ukraine, parce que les Ukrainiens ignoraient tous les signes alarmants.

En Pologne et aux pays Baltes, il y a déjà cette prise de conscience, et ils se préparent à l’inévitable guerre. Avec le carnage à Boutcha, à Irpin et Marioupol, les Russes nous donnent des arguments très forts qui prouvent que Poutine, c’est Hitler du XXIe siècle. C’est cette idée que nous devons faire passer par tous les canaux de communication, du matin au soir.
Nous devons faire venir le Pape, les députés du Congrès et des parlements européens, des muftis, des stars de showbiz. Qu’ils voient les fosses communes de Boutcha. Car l’alternative, c’est la fosse commune de la civilisation recouverte de cendre nucléaire de Poutine.

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